mardi 22 novembre 2016

SONNY BOY

                                                                       Photo empruntée sur Google, appartenant au site vhscollector.com

de Robert Martin Carroll. 1989. U.S.A. 1h44. Avec David Carradine, Paul L. Smith, Brad Dourif, Conrad Janis, Sydney Lassick, Alexandra Powers.

Sortie salles U.S: 26 Octobre 1990

FILMOGRAPHIE: Robert Martin Carroll est un réalisateur et producteur américain.
1989: Sonny Boy. 2000: Baby Luv.


Film culte auprès d'une communauté de vidéophiles ayant eu l'opportunité de le louer dans leur video de quartier, Sonny Boy constitue une perle rare de cinéma subversif si bien qu'elle fut banni de nos salles chez nous, et ce en dépit de sa récente programmation au Festival Hallucinations Collectives de Lyon le 27 mars 2016. Prenant pour thème la maltraitance infantile sous le vernis d'une famille dysfonctionnelle, Sonny Boy est une oeuvre choc aussi incisive et vitriolée que son binôme Bad Boy Bubby ! Enlevé par un marginal après que ce dernier eut assassiné ses parents, un jeune bambin est recueilli par un couple de laissés-pour-compte vivant reclus dans le désert. Eduqué à l'instar d'un animal sauvage durant sa jeunesse, Sonny parvient à l'âge adulte à sortir de sa geôle le temps d'une escapade urbaine que deux compères familiaux ont eu l'audace de détacher de ses chaînes. Particulièrement craintifs par son apparence primitive, les citadins de la région vont user de provocation et d'influence communautaire pour le lyncher parmi la complicité policière.


A la croisée de Frankenstein et de l'Enfant Sauvage, Sonny Boy fait office d'expérience atypique dans son brassage des genres (action, western, comédie, horreur, romance, conte de fée) et d'une émotion hybride qu'on ne voit jamais venir ! Car aussi déjantées, frénétiques, insolentes et décalées soient ses situations viciées, Sonny Boy fait preuve d'une étonnante fragilité lorsque derrière ses outrances se cache la tendresse d'une misère humaine. Car ayant subi quotidiennement humiliations et sévices par des parents décérébrés et des riverains réactionnaires, Sonny devient l'esclave d'une brimade sociétale au sein d'une Amérique profonde gangrenée par l'ignorance, l'alcool et la fascination des armes (l'auto-défense étant le principal moteur de leur justification expéditive). Avec ses portraits fantaisistes de personnages extravagants animés par l'autorité, la perversité, le mensonge, la manipulation et la soumission, Sonny Boy insuffle un climat de douce hystérie caustique comme le souligne les rapports houleux du duo parental que forment le ventripotent Paul L. Smith (l'inoubliable tenancier de Midnight Express !) et David Carradine (à contre emploi dans un rôle exubérant de travelo maternel !). Les seconds-rôles ne sont pas non plus en reste si je me réfère aux profils mesquins du duo trivial Brad Dourif Sydney Lassick. Mais la palme du comédien le plus empathique reste inévitablement la prestance mutique de Michael Boston se glissant dans la peau d'un souffre-douleur avec une pudeur souvent poignante (pour ne pas dire bouleversante !). Rehaussé d'un score aussi suave que mélancolique (si on écarte ses airs jovials de banjo hérités de Délivrance !) lorsque la caméra ausculte attentivement ses sentiments de crainte, d'espoir (celle de l'amour avec une charmante inconnue), de pitié et de haine, Sonny Boy provoque le désarroi avec une vigueur dramatique jamais démonstrative.


Fou ! ... oui, il est fou... comme nous tous ! ... Enfermés dans notre différence comme dans une immense solitude... 
Plaidoyer pour le droit à la différence, manifeste pour la pédagogie parentale et la communication, hymne à la liberté et au désir d'aimer, Sonny Boy fait preuve d'une insolence décomplexée pour nous dépeindre une société rétrograde aux frontières de la démence, si bien qu'un orphelin en éveil sentimental tente timidement de s'y faire une place auprès d'une main secourable. Il en émane une oeuvre magnifique assez difficilement discernable dans son alliage émotionnel mais dont les images poétiques ou cauchemardesques laissent en mémoire un conte cruel sur la condition humaine non exempt d'espoir. 

Dédicace à Isabelle Paillard et Eugène Rocton

B-M. 2èx



de Rolf De Heer. 1993. Australie/italie. 1h52. Avec Nicholas Hope, Claire Benito, Ralph Cotterill, Carmel Johnson, Syd Brisbane, Nikki Price, Norman Kaye, Paul Philpot, Peter Monaghan, Natalie Carr.

Sortie en salles en France le 1 novembre 1995. U.S: 26 Avril 2005

FILMOGRAPHIERolf De Heer est un réalisateur, producteur, scénariste et compositeur australien d'origine néerlandaise, né le 4 Mai 1951 à Heemskerk (Pays-Bas).
1984: Sur les ailes du tigre. 1988: Encounter at Raven's Gate. 1991: Dingo. 1993: Bad Boy Bubby.
1996: La Chambre Tranquille. 1997: Epsilon. 1999: Dance me to My Song. 2001: Le Vieux qui lisait des romans d'amour. 2002: The Tracker. 2003: Le Projet d'Alexandra. 2006: 10 canoës, 150 lances et 3 épouses.


En 1995 sort dans une quasi indifférence un long métrage australien d'un réalisateur d'origine néerlandaise. Inondé de récompenses dans divers festivals du monde entier, Bad Boy Bubby va rapidement gagner au fil du bouche à oreille un statut d'ovni hybride, dérangeant et sordide, auquel l'humanité innocente de son protagoniste va ébranler le spectateur ! Bubby est un homme de 35 ans vivant reclus comme un animal dans un foyer familial parmi l'autorité d'une mégère incestueuse. Emprisonné, maltraité et rendu esclave, il est acculé à y rester cloîtré en compagnie d'un chat de gouttière. Un jour, jalousé des retrouvailles inespérées avec son père alcoolique, il décide de se rebeller et franchir les extérieurs industriels de sa bâtisse.


Eprouvant, profondément malsain et dérangeant, la première demi-heure de Bad Boy Bubby rivalise de déviance dans son environnement restreint du foyer insalubre, là où quelques cafards rampent sur le sol parmi la présence d'un chat séquestré dans une cage. La mère de Bubby, tortionnaire perverse, abuse sexuellement de son rejeton inculte et lui impose la journée de rester assis sur une chaise durant ses absences prolongées. Parfois même, elle lui pratique l'étouffement en lui bouchant la bouche et le nez ! Pour sortir de sa baraque, elle se déplace en ville avec l'aide d'un masque à gaz afin de feindre à son fils que la vie urbaine est empoisonnée à proximité des bâtiments industriels. Abruti par une existence sans compassion, sans amour et sans notion de Bien et de Mal, Bubby perdure son ennui alors que son seul loisir est d'asphyxier un chat domestique en guise de curiosité morbide. Sur ce point, ces séquences dérangeantes extrêmement crues et choquantes sont d'un réalisme si effrayant que l'on peine à s'imaginer s'il s'agit d'un véritable chat volontairement maltraité afin de mieux ébranler le spectateur ! C'est avec l'arrivée inopinée de son père alcoolique que Bubby décide de s'extérioriser en adoptant son attitude de débauche sexuelle auprès de sa mère. SPOILER !!! Après les avoir étouffé durant leur sommeil par vengeance, Bubby va enfin pouvoir découvrir le nouveau monde urbain tant redouté ! Fin du SPOILER


Après nous avoir fait vivre dans un souci documentaire (comparable au climat ombrageux de Eraserhead de Lynch) le sordide quotidien d'un homme réduit à l'état primitif, le réalisateur nous dirige lentement vers sa quête initiatique. Il d'agit donc d'illustrer le profil d'un quidam arriéré (comparable au monstre de Frankenstein dans sa pudeur innocente) rencontrant au hasard des rues la jungle des marginaux, des intégristes, des artistes bénévoles et des handicapés dystrophiés. Durant ce parcours d'un homme autrefois refoulé et molesté, Rolf De Heer filme de façon corrosive le portrait poignant d'un être esseulé perdu au milieu d'une cité urbaine où les citadins occupent leur temps à chercher un intérêt métaphysique à leur existence. A la manière d'un poème illustrant de manière décalée l'absurdité de l'existence humaine, Bad Boy Bubby est un magnifique récit initiatique vers le chemin de la raison et de la rédemption. En fustigeant la religion responsable du fondamentalisme, le film est également un hymne à la liberté la plus autonome ainsi qu'à l'épanouissement de l'amour. Dans celui du clochard fasciné par les merveilles du monde, Nicholas Hope époustouffle par son jeu naturel au regard empli d'innocence. Durant son cheminement fantasque, il cristallise donc un message de tolérance pour le droit à la différence, une fraternité pour la condition des exclus et aussi une quête identitaire pour l'accomplissement de sa postérité.



Choquant, déstabilisant, glauque, voir malsain dans sa première partie, le film de Rolf De Heer adopte une mise en scène singulière inscrite dans la crudité pour dépeindre avec sensibilité un univers aliénant et débauché. Caustique, désincarné, débridé, poétique, drôle et profondément bouleversant, de par l'interprétation fébrile d'un acteur au jeu infantile, Bad Boy Bubby est un ovni anti-conformiste transcendant le portrait d'un homme en ascension car découvrant peu à peu les nouveaux repères de son existence. Un chef-d'oeuvre dédié aux laissés pour compte, aux marginaux et aux athées et une déclaration d'amour à la banalité de notre existence inscrite dans le temps présent. 

Récompenses: Prix Spécial du Jury à la Mostra de Venise en 1993.
Prix du Meilleur Réalisateurmeilleur scénariomeilleur montage et meilleur acteur pour Nicholas Hope lors des Australian Film Institute Awards en 1994.
Prix du Meilleur Film, Meilleur Acteur, Meilleure Mise en scène au Festival du film de Seattle en 1994.
Prix du Public, Prix RFM, Prix des Etudiants, Prix Spécial du Jury au Festival d'action et d'Aventures de Valenciennes en 1995.
Prix Très Spécial à Paris en 1995

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