mercredi 28 septembre 2011

Faux Semblants / Dead Ringers. Grand Prix, Avoriaz 1989.

                                                      Photo empruntée sur Google, appartenant au site Imdb.com


de David Cronenberg. 1988. 1h55. U.S.A/Canada. Avec Jeremy Irons, Geneviève Bujold, Heidi von Palleske, Barbara Gordon, Shirler Douglas, Stephen Lack, Nick Nichols, Lynne Cormack, Damir Andrei, Miriam Newhouse.

Sortie en salles en France le 8 Février 1989. Canada: 23 Septembre 1988.

FILMOGRAPHIE: David Cronenberg est un réalisateur canadien, né le 15 mars 1943 à Toronto (Canada). 1969 : Stereo, 1970 : Crimes of the Future, 1975 : Frissons, 1977 : Rage,1979 : Fast Company, 1979 : Chromosome 3, 1981 : Scanners, 1982 : Videodrome, 1983 : Dead Zone, 1986 : La Mouche, 1988 : Faux-semblants,1991 : Le Festin nu, 1993 : M. Butterfly, 1996 : Crash, 1999 : eXistenZ, 2002 : Spider, 2005 : A History of Violence, 2007 : Les Promesses de l'ombre, 2011 : A Dangerous Method


Deux ans après son remake La Mouche (bouleversante métaphore sur le Sida laissant libre cours à des FX renversants pour la mutation du héros), David Cronenberg réalise à mes yeux son plus grand film d'une filmo aussi passionnante que dérangeante. Le plus abouti, le plus trouble des drames humains concernant la gémellité de deux chirurgiens psychologiquement inséparables et incapables de surmonter la déchéance de l'autre. Adapté du roman Twins, de Bari Wood et Jacques Geasland, Faux Semblants fut même ovationné à Avoriaz en remportant le fameux Grand Prix un an après sa sortie. 

Le Pitch: Beverly et Elliot Mantle sont deux frères exerçant la profession de gynécologie dans une notable clinique. Jumeaux à la physionomie identique, ils vivent communément dans un appartement de luxe en multipliant les conquêtes féminines sans lendemain. Un soir, Beverly fait la rencontre d'une actrice, Claire Niveau, souffrant d'une anomalie physique rarissime au niveau de l'utérus. Éperdument amoureux l'un de l'autre, leur relation va cependant échouer lorsque Beverly, fragile et introverti, va peu à peu sombrer dans la dépendance toxicomane.


Drame psychologique d'une intensité crue dans sa caractérisation à nous dépeindre la déliquescence de deux illustres chirurgiens, Faux Semblants est une descente aux enfers hypnotique et implacable. Mis en scène avec une rare maîtrise dans la manière d'y distiller un malaise insidieux, ce portrait baroque de deux jumeaux incapables de départager leur existence commune nous entraîne dans une spirale de déchéance, faute d'une idylle amoureuse compromettante et d'une addiction pour les drogues dures. Car sous l'influence de son frère Eliot, Beverly, le plus réservé et timoré, se laisse attendrir par la relation d'un soir avec une jeune actrice. Si bien que Elliot, chirurgien pragmatique beaucoup plus spontané et décomplexé, lui propose de profiter ensemble de cette idylle grâce à leur ressemblance physique. Cependant, la jeune femme stérile est le fruit d'une mutation puisque possédant trois utérus en interne des organes. Mais la sensibilité fragile de Beverly, son accoutumance aux drogues, sa fascination exercée sur cette difformité et l'indifférence de son frère pour sa nouvelle relation le font sombrer dans une grave dépression.


Avec un sens du suspense latent, le réalisateur traite ici du rapport viscéral de nos organes internes du point de vue de la gémellité. Qui plus est, la présence symbolique des instruments chirurgicaux en or fascine et dérange le spectateur pour ces opérations médicales exécutées sur des patientes pathologiques. Ainsi, c'est une épreuve autodestructrice que nous raconte Cronenberg pour deux laissés-pour-compte livrés à leur déchéance humaine et au déclin professionnel. Un impossible retour à la stabilité lorsque ceux-ci sont incapables de surmonter leur séparation. Comme si un cordon ombilicale les reliait corporellement à la manière des siamois (le rêve traumatique fantasmé par Beverly en est une preuve). D'une intensité dramatique exponentielle, Faux Semblants exacerbe sa force émotionnelle de par l'interprétation binaire de l'immense Jeremy Irons. Autoritaire, flegme, érudit et arrogant pour l'un, fragile, dépressif et schizophrène pour l'autre, le double rôle invoqué est notamment renforcé par l'illusion de trucages afin d'insérer dans le même cadre deux jumeaux au caractère bien distinct. Pourvu d'un charme trouble et vénéneux, Geneviève Bujold endosse une femme instable contrariée par sa solitude puisque accumulant les conquêtes sans lendemain, même si sa nouvelle relation avec Beverly en sera légèrement palliée. Quand bien même sa mutation génétique l'éprouvera sur un sentiment de défaite et de désillusion pour son éventuelle progéniture. A eux trois, ils forment un trio inclassable dans la précarité de leur relation amoureuse et leur rapport interlope pour l'altération du corps.


Frères de sang
Profondément dérangeant, bouleversant et traumatisant, le cheminement tragique d'Eliot et Beverly nous achemine vers une déchirante histoire d'amour sur les liens équivoques de la gemellité. Deux jumeaux nantis incapables de fonder une existence autonome et reprendre en main leur situation socio-professionnelle. Renforcé par l'interprétation de Jeremy Irons et du score sensitif d'Howard Shore, Faux Semblants est un électro-choc émotionnel sur le dépit de l'amour, la quête identitaire par la malformation de la chair, le désespoir existentiel et la déchéance humaine.  

*Bruno
Dédicace à Isabelle
28.09.11
19.01.24. 5èx. Vostfr

Récompenses:
Grand Prix lors du Festival international du film fantastique d'Avoriaz 1989.
Prix Génie du meilleur film 1989, décerné par l'Académie canadienne du cinéma et de la télévision.
Prix du meilleur acteur (Jeremy Irons) et nomination au prix du meilleur film, lors du festival Fantasporto 1989.

La critique de Ruuffet Nelly

Un des meilleurs Cronenberg. Ici, ce dernier excelle dans ce qu'il fait de mieux en nous proposant un métrage dont le caractère horrifique repose sur de l'expérimental et du clinique. Cronenberg nous pousse à nous interroger sur la chair et ses dimensions physico-spirituelles. Les deux frères jumeaux font de leur vie une expérience à un tel point qu'ils font se côtoyer la chair et le monstrueux. Jérémy Irons est magistral et nous propose un double jeu extraordinaire. Paradoxalement, au début du métrage, le spectateur peine à différencier les jumeaux tant leurs faciès et leurs attitudes sont similaires, puis la rencontre entre Beverly et Claire fait tout basculer. Même si Eliott (le + insensible et machiavélique des deux) fait tout pour qu'ils restent identiques, la descente aux Enfers de Beverly nous le montre vulnérable et de plus en plus fragile. Mais qui est le + fragile des 2? Peut-être pas celui que l'on pense.

Claire entraîne Beverly malgré elle dans l'univers des drogues dites « légales ». Ce dernier se shoote afin d'aider sa patiente à concevoir un enfant en poussant son corps dans ses derniers retranchements. Beverly, assoiffé de performances, est malheureusement rattrapé par les limites de son corps, qui reprend ses droits. Car même si le mental tente de transcender la chair, la chair reste de la chair et, si on la triture et essaie de la rendre artificielle, elle devient monstrueuse. Telle pourrait être la moralité du film qui, en ce sens, est la même que celle de La mouche. Beverly ne contrôle plus son corps et sombre alors qu'il interprète mal une entrevue entre Claire et un autre homme. Pensant qu'elle l'a trompé, il se réfugie encore plus dans les somnifères et les anxiolytiques.
Son frère jumeau, Eliott, que l'on perçoit tout d'abord comme un monstre insensible au regard glacial, semble plus humain lorsqu'il assiste, impuissant, à la déchéance de son frère jumeau. Là encore, son penchant pour l'expérimentation reprend ses droits mais cette fois-ci cette dernière est au service d'une noble cause. Par esprit de fraternité, Eliott imite son frère et prend le même traitement que Beverly, les mêmes dosages. Le clinique et le fraternel se cotoient et se confondent. Commence alors une descente vers la démence.
En parallèle de l'évolution du frère le plus froid, qui se calque cliniquement sur Beverly, se développe un imaginaire clinique. Eliott cherche à transcender la chair par le mécanique en créant artificiellement la gémellité chimique des deux frères et tente d'imiter le parcours des premiers frères siamois en recréant des instruments capables de les séparer. Entraîné dans la spirale de la folie, il mais pousse le mécanique jusqu'à l'inhumain en testant des instruments qui ne sont pas faits pour être testés sur des humains sur de vraies patientes. Les consultations deviennent des séances de torture et Beverly le lui fait bien remarquer.
Claire, le tiers jadis à l'origine de la descente aux Enfers des deux frères, devient alors la médiatrice entre ces derniers et intervient tout particulièrement auprès d'Eliott en tentant de lui expliquer par tous les moyens possibles que leur gémellité ne fait pas d'eux des personnes complètement identiques. Les jumeaux ne sont pas des siamois et les dépendances chimiques ne sont pas innées. Mais Elliott ne le comprend pas et continue de pousser ses expérimentations jusqu'à adopter au milligramme près les doses qu'ingère son frère. A force de vouloir pousser leur gémellité jusque dans ses derniers retranchements, la chimie les rattrape et ils sont incapables de faire machine arrière.
Leur fraternité devient monstrueuse, Eliott s'en rend compte mais il est déjà trop tard. La folie l'a gagné et il essaie de sauver son frère en se séparant chirurgicalement de lui. L'imaginaire a dépassé la réalité. Mais Eliott ne voit que cette alternative, aveuglé par sa soif d'expérimentations. Le goût pour la science, poussé à l'extrême, mène à la destruction. Au coeur de la scène finale git un frisson empreint de grâce. Cronenberg a réussi à faire se côtoyer la grâce, l'amour et le frisson horrifique dans ce chef-d'oeuvre, un chef-d'oeuvre comme on en fait rarement à l'heure actuelle. Horriblement magnifique.


                                     

3 commentaires:

  1. Est-ce le meilleur rôle de Jeremy Irons ?
    pour moi oui, ( parce qu' il en tient deux pardi).
    Est-ce le meilleur film de Cronenberg , j'aurai du mal à choisir étant donné le nombre de bons films à son actifs, et c'est peu dire.
    En plus d'avoir une filmo remarquable il a su donné depuis " A historie of violence " un souffle nouveau à son cinéma.
    Si je devais le comparer à un artiste se serait sans doute Gainsbourg…toujours dans l'air du temps…

    merci pour ta critique Bruno. Va falloir que je le revoit car je ne me souvient plus du tout de la musique d'Howard Shore..Je ne savais pas qui c'était à l'époque..Ou était il quelqu'un avant que je le sache?
    ou…j'arrête .

    Ps ; un autre film traitant de la gémellité, " les jumeaux" avec pierre Richard….
    OK……je sors.

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    1. LE Jumeau, avec Pierre Richard... une bien mauvaise comédie d'Yves Robert, effectivement. C'est drôle que vous en parliez, car après avoir vu "Faux semblants", je m'étais promis d'écrire un article sur "Faux Semblants", "Le Jumeau" et "Adaptation".

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  2. Suis pas sorti longtemps, il pleut…
    La dernière capture est superbe et je ne peut résister
    de balancer ce petit quizz.

    La scène montre:

    a) La nouvelle tenue de l'équipe féminine de ping-pong
    chinoise.
    b) L'extraction du Taenia en mode furtif.
    c) L'ablation du foie de Boris Eltsine.
    d) la fête des vendanges sur les berges de L'Euphrate
    e) Une réunion secrète des PDG de Jardiland.

    Ce coup si je sors vraiment…j'ai trop honte.

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