jeudi 21 avril 2011

ESSENTIAL KILLING. Prix du jury à la Mostra de Venise 2010.

  

de Jerzy Skolimowski. 2010. Pologne, Norvège, Irlande, Hongrie.1H25. Avec Vincent Gallo, Emmanuelle Seigner, Nicolai Cleve Broch, Stig Frode Henriksen, David L. Price, Zach Cohen, Iftach Ophir, Tracy Spencer Shipp, Klaudia Kaca

PRIX DU JURY et PRIX D'INTERPRETATION à la MOSTRA de VENISE 2010.

Sortie en salles en France le 06 Avril 2011.

FILMOGRAPHIE SELECTIVE: Jerzy Skolimowski est un cinéaste polonais né le 5 mai 1938 à Lodz en Pologne.
1971: Deep end, 1972: Roi, dame, valet, 1978: Le Cri du sorcier, 1981: Haut les mains, 1982: Travail au noir, 1984: Succès à tout prix, 1986: le Bateau phare, 1989: Les Eaux printanières, 1991: Ferdydurke, 2008: 4 nuits avec Anna, 2010: Essential Killing.

                           

Par le réalisateur du Cri du sorcier, Travail au noir et de l'incroyable Deep end, le réalisateur polonais Jerzy Skolimowski s'essaie au genre du survival politisé en prenant le contre-pied des codes orthodoxes ciblant le récit d'aventures haletant, traditionnellement emballé dans une texture brutale pleine de vigueur.

En Afghanistan, un taliban est poursuivi par les forces américaines après avoir tué trois de leurs soldats. Rapidement interpellé et en attendant son prochain jugement, l'homme se retrouve dans un centre de détention pour être sévèrement torturé. Pendant son transfert, un camion qui le transportait va faire une embardée aléatoire pour se retrouver dans un fossé après avoir manqué de percuter un sanglier. Le prisonnier ligoté profite alors de cet accident meurtrier pour s'évader dans les entrailles d'une forêt.

                           

Dans le genre survival tempéré en pleine nature sauvage qui voit un fugitif affolé tenter de s'enfuir indéfiniment à travers les forêts contre une armée de soldats inflexibles pour l'appréhender, Essential Killing prend son récit à hauteur d'homme, sans esbroufe ni fioriture. Il narre de prime abord une aventure humaine prégnante et désespérée ne prenant jamais parti pour un anti-héros effrayé à l'idée de mourir et se laisser kidnapper par ses oppresseurs.
Dans une nature enneigée à l'atmosphère hivernale tangible, Mohamed est un tueur impitoyable perdu au beau milieu de ce vaste environnement hostile. C'est sa quête de survie qui va nous être conté dans une réalisation quasi expérimentale, prenant soin de faire évoluer son personnage dans cette contrée écologique avec un saisissant réalisme d'acuité.
Affamé, assoiffé et épuisé par les heures interminables de marche dans un froid aride, le taliban traqué par un cortège d'ennemis chevronnés accompagnés de leurs chiens loups va devoir retrouver un instinct primitif pour pouvoir subvenir à sa longévité. De façon clairsemé, le peu de nourriture qu'il trouvera à sa disposition se trouvera dans les écorces d'arbres, un nid de fourmis ou un arbuste de fruits empoisonnés. A moins d'envisager aux abords d'une route l'agression physique d'une femme bedonnante accompagnée de son bébé sur les bras, venant de trébucher maladroitement de sa bicyclette.
Dans ses exactions pernicieuses tolérées par l'acte meurtrier vilipendant des innocents, le spectateur rebuté ne sait jamais s'il doit éprouver une quelconque sympathie ou une empathie envers un personnage aussi dangereux. D'où ce refus coutumier des conventions balisées affichant un héros intrépide sans reproche.
C'est ce qui fait la force singulière de la trame mais aussi sa faiblesse pour le spectateur peu habitué à suivre l'aventure d'un anti-héros pernicieux sans pitié auquel il est difficile de s'identifier ! Et cela même si l'homme reste malgré tout profondément humain dans ses affections terrifiées par l'emprise de la solitude, la crainte ultime de la mort mais aussi la foi en son dieu, Allah (d'où ses cauchemars refoulés qui interviennent de façon récurrente).

                          

Jerzy Skolimowski pose donc matière à réflexion dans ce portrait peu glorieux d'un homme obligé de commettre le pire (le crime) pour assurer le prolongement de son existence. Cette introspection sur l'instinct de survie tend à nous poser la question existentielle sur l'acceptation de s'octroyer au Mal afin de sauvegarder notre présence sur terre. Il tend à interpeller avec cette question essentielle: serions nous, nous aussi, capable de commettre de telles fraudes crapuleuses pour notre amour propre et ainsi sauver de manière égocentrique notre précieuse existence ?
                        
Dans le rôle de Mohamed, le prodigieux Vincent Gallo n'a pas volé son prix d'interprétation à Venise tant sa prestance innée d'ennemi redouté nous impressionne dans sa véracité à démontrer de manière corporelle son calvaire pour tenter de survivre dans un environnement naturel polaire.
Tour à tour apeuré, effrayé, anxieux, halluciné, voir incommodé de gêne et de honte quand il se voit accueilli par une femme sourde et muette, l'acteur laisse transparaître ce florilège d'émotions frêles avec une aura viscérale particulièrement palpable.

                           

Clôturant de façon cruelle son épilogue de manière brute et inopinée, Essential Killing est un survival insolite d'une belle rigueur, soigneusement mis en scène dans une structure niant le caractère spectaculaire ou l'action traditionnellement trépidante. 
L'interprétation habitée de Vincent Gallo et sa réflexion sur la moralité de la survie culminent à un récit dramatique inhabituel et anticonformiste.

21.04.11
Bruno Matéï.

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